Mesures à Distance : Emissions aurorales
Les magnétosphères planétaires forment d’efficaces machines électrodynamiques qui produisent des émissions sur toute la gamme du spectre électromagnétique. Dans les régions aurorales, c’est à dire, aux alentours des pôles magnétiques de la planète, les lignes de champ magnétique se concentrent. Les particules chargées accélérées dans la magnétosphère y convergent. L’observation des aurores planétaires est donc un indicateur de l’activité magnétosphérique. On recense deux grands types de phénomènes auroraux visibles à distance : les aurores atmosphériques (en infrarouge, visible, ultraviolet, voire même en rayons X) et les émissions radio aurorales (dans le domaine de longueur d’onde kilométrique à décamétrique). Le pôle plasma du LIRA possède une expérience particulièrement développée sur l’analyse de ces émissions radio aurorales (mais aussi ultraviolettes) planétaires.
La Terre
Les émissions radio terrestres (dont la composante principale est le rayonnement kilométrique auroral ou AKR) ont été largement étudiées depuis leur découverte à la fin des années 50. Parmi elles, les sursauts basse fréquence (LF-bursts) sont un type d’émission particulier dont la phénoménologie observée a pu être comprise grâce à la simulation des effets de propagation (diffusion notamment) d’une onde radio dans la magnétosphère et le vent solaire (Steinberg et al., 2004).
En outre, grâce aux données enregistrées par la sonde Cassini lors de son survol de la Terre en 1999 et aux données provenant des sondes STEREO, une modulation à 24h des émissions radio aurorales terrestres a été observée pour la première fois. Deux articles ont été publiés sur cette étude (Lamy et al. 2010 ; Panchenko et al. 2009). Ce résultat est à mettre en relation avec la variabilité de la périodicité des émissions radio de Saturne (voir le paragraphe Saturne).

(Bas) L’analyse de sursauts individuels ou de groupes de sursauts permet de remonter à l’énergie parallèle des électrons le long du tube de flux d’Io. Les lignes pointillées représentent des variations adiabatiques, séparées à l’altitude où fce 25 MHz par un saut de potentiel (zone d’accélération parallèle) de 1 kV.
Jupiter
La magnétosphère de Jupiter, beaucoup plus complexe que celle de la Terre, est sous l’influence dominante d’un disque de plasma équatorial en rotation, mais ses régions les plus externes restent couplées au vent solaire sur le modèle de la magnétosphère terrestre. L’analyse des données du télescope spatial Hubble en UV a permis de découvrir une calotte polaire et un cornet polaire (Pallier et Prangé, 2004, Flasar et al., 2004). Ceux-ci commencent à être modélisés (Cowley et al., 2005), ainsi que leur relation aux variations des paramètres du vent solaire mesurés simultanément par les sondes Galileo et Cassini (fin 2000-début 2001).
La sonde Cassini a survolé Jupiter fin 2000-début 2001. Lors de ce survol, un spectre de référence des émissions radio joviennes a été établi à partir de 6 mois de données continus (Zarka et al., 2004), actualisant celui établi lors du survol de Jupiter par Voyager. Durant ce même survol par Cassini, une composante du spectre radio jovien dont l’origine reste encore inconnue a été plus particulièrement étudiée : les sursauts quasi-périodiques (QP). Une étude conjointe avec la sonde Galileo (Hospodarsky et al., 2004) a permis de montrer que le diagramme d’émission instantané de cette composante radio était très étendu. Cette même étude a montré que les sources radio correspondantes étaient situées à haute latitude. Cette localisation des sources radio a été possible grâce au développement de techniques goniopolarimétriques.
Les observations radio sol (au Réseau Décamétrique de Nançay, ou depuis le radiotélescope de Kharkov en Ukraine) permettent des mesures à haute résolution spectrale et temporelle. Ce type de mesure est tout particulièrement adapté à l’étude des sursauts millisecondes (ou S-bursts). Ces émissions sont produites par des électrons circulant dans le circuit Io-Jupiter (Hess et al., 2007). Les mécanismes physiques de production de ces émissions, l’origine des structures fines et les mécanismes d’accélération des électrons ont fait l’objet d’une thèse (S. Hess, 2008 et références incluses). Par ailleurs, l’analyse d’observations radio décamétriques sol (Nançay et Kharkov) a aboutit à la découverte de sursauts "millisecondes" de Jupiter, de sauts de potentiel électrique de l’ordre du kV alignés avec le champ magnétique (doubles couches fortes) dans le tube de flux Io-Jupiter (Hess et al., 2007).

Saturne
La magnétosphère de Saturne possède une dynamique intermédiaire entre celles de la Terre et de Jupiter. Son étude a donc un intérêt tout particulier dans un cadre de planétologie comparée. Ainsi, il a été possible de suivre la propagation d’un choc interplanétaire du Soleil à Saturne lors d’un alignement des trois planètes, et de montrer que la Terre, Jupiter, puis Saturne, répondaient successivement au passage de ce choc par une intense activité aurorale observée en UV et/ou en radio (Prangé et al., 2004). Trois principales thématiques ont été abordées dans les études menées au pôle plasma : structure et dynamique magnétosphérique, caractéristiques et variabilité du rayonnement kilométrique auroral (SKR), variabilité de la période du SKR.
Caractérisation du SKR : Le récepteur radio RPWS/Kronos a permis une étude extensive du SKR (Gurnett et al. 2004 ; Lamy et al. 2008, thèse de L. Lamy, 2008). L’analyse de 4 ans de données a permis de confirmer et de caractériser statistiquement les propriétés du SKR déduites des études Voyager (survol de Saturne en novembre 1980 pour Voyager 1 et août 1981 pour Voyager 2) : le spectre du SKR s’étend de 3.5 kHz à 1300 kHz (avec un plateau situé entre 100 et 400 kHz) et l’émission de type R-X est dominante (polarisation à gauche ou à droite pour les radiosources situées dans l’hémisphère sud ou nord respectivement). La variabilité du SKR le long de la trajectoire de l’observateur est compatible avec des sources radio plus intenses côté matin (mais des sources sont observées à tous les temps locaux (Farrell et al., 2005)). L’anisotropie de l’émission engendre l’existence d’une zone d’ombre équatoriale dont l’extension à l’équateur dépend de la fréquence, ainsi qu’une disparition systématique de l’émission aux hautes et basses fréquences à hautes latitudes nord (λ≥55°).
Structure et activité magnétosphérique : L’activité magnétosphérique de Saturne est fortement liée à celle du vent solaire. Une forte corrélation entre l’intensité du SKR et la pression dynamique du vent solaire a été observée avec les données Cassini (Jackman et al., 2005), confirmant les résultats obtenus par les sondes Voyager. Des évènements de type sous-orages semblent aussi avoir lieu dans la queue de la magnétosphère de Saturne, comme sur Terre (Mitchell et al., 2005). L’observation du SKR à l’aide du récepteur forme d’onde WFR a révélé des structures fines très similaires à celles observées près de la Terre (Kurth et al., 2005).

Période de rotation : Il n’est pas possible de mesurer directement la période de rotation sidérale des planètes gazeuses (explications). Pour cela, on étudie la modulation des émissions radio aurorales qui est liée à la rotation du champ magnétique. La période de rotation sidérale de Saturne avait été mesurée par Voyager, mais des mesures Ulysse avaient montré que cette période radio était variable (Galopeau et Lecacheux, 2000). Les données Cassini ont confirmé cette variabilité (Gurnett et al., 2005). Des variations à court terme de la période du SKR ont également été découvertes, périodiques à 20-30 jours, et d’origine externe à la magnétosphère : elles sont corrélées aux variations de la vitesse du vent solaire au niveau de la magnétosphère kronienne (Zarka et al., 2007). Ce résultat vient confirmer le modèle proposé par Cecconi & Zarka (2005) pour expliquer les variations de la période du SKR.
Éclairs d’orages : L’atmosphère de Saturne est aussi une source de rayonnements radio : les éclairs d’orages produisent des impulsions électromagnétiques appelée SED (Saturn Electrostatic Discharges). Les SED sont de brèves impulsions à très large bande. Le récepteur RPWS/Kronos permet leur détection et l’étude de leurs caractéristiques sur le long terme mais ne permet en général pas de les résoudre temporellement. Les orages de SED ont été corrélés avec des événements atmosphériques : les SED sont visibles alors que les orages atmosphériques correspondants sont encore situés derrière le limbe. Cela permet de montrer que les SED se propagent sous l’ionosphère avant de s’échapper dans l’espace. Une polarisation circulaire a été mesurée aux basses fréquences et peut être expliquée également par des effets de propagation (Fischer et al., 2006a, 2006b ; Zarka et al., 2008 ; Yair et al. 2008).
Exoplanètes
Un des défis de la radioastronomie basse fréquence est la détection de signaux faibles (c’est-à-dire dont l’amplitude est du même ordre que le bruit de fond). Des outils statistiques ont été développés en collaboration avec des collègues ukrainiens (Ryabov et al., 2004), en particulier dans le but de détecter les émissions radio provenant de systèmes exoplanétaires.
Des prédictions théoriques étendues ont été publiées (Zarka et al. 2007 ; Griessmeier et al., 2007), justifiant des observations à partir de récepteurs radio à haute sensibilité et hautes résolutions temporelle et spectrale. Le développement de tels récepteurs couplés à des techniques de déparasitage en temps réel et différé, a été effectué en collaboration avec des ingénieurs de la station de radioastronomie de Nançay et du LESI de l’Université d’Orléans (Weber et al. 2005).
Dans le cadre du projet ANR Radio-Exopla, un récepteur radio numérique a été développé en collaboration LIRA/Nançay/Kharkov. Deux exemplaires ont été installés en Ukraine, au radiotélescope UTR-2 de Kharkov (pour observations simultanées). Une cinquantaine de nuits d’observations et de tests ont été effectuées, permettant de détecter pulsars et SED entre 10 et 30 MHz. L’analyse des observations « exoplanètes » est en cours.
Mesure in situ
L’expertise instrumentale du pôle consiste en la conception et la réalisation de récepteurs d’onde radio et plasmas à très faible bruit. De tels récepteurs ont été embarqués sur ISEE 1-2-3, Ulysse (expérience URAP, récepteur RAR), Wind (expérience WAVES, récepteurs RAD-TNR), Image, Cassini (expérience RPWS/KRONOS, récepteur HFR), Cluster (récepteur STAFF-SA), STEREO (expérience Waves/HFR-LFR) et en fabrication sur la mission BepiColombo/MMO (expérience SORBET). Concernant la recherche et le développement de ces récepteurs radio embarqués, une caractéristique fondamentale du pôle plasma est l’existence d’une collaboration étroite entre chercheurs, ingénieurs et techniciens du LIRA, permettant une synergie indispensable entre la théorie (des antennes en plasmas) et le design/réalisation (des récepteurs). Nous présentons ici les travaux d’interprétation ou de modélisation qui sont associés à ce type de mesures dans le cadre des magnétosphères et plasmas planétaires.
Structure du tore de plasma à Saturne (avec Cassini)
La spectroscopie du bruit thermique a permis de mesurer pour la première fois les plasmas froids (<1eV à proximité du plan des anneaux) et mêlés de poussière peuplant la magnétosphère interne de Saturne (depuis 7 Rs dans l’anneau de poussière E jusqu’à l’anneau F vers 2.3 Rs), et dont une bonne partie est due au satellite Encelade (Moncuquet et al., 2005). La figure 4 montre ces premiers résultats. L’exploitation systématique par spectroscopie QTN de chacun des périkrones de Cassini de 2004 à 2008 (une vingtaine d’orbites exploitables, entre 3 et 6 Rs), et la modélisation de la structure du tore de plasma (confinement, équilibre diffusif) que l’on peut en déduire sont en cours (Thèse M. Gkini). Comme pour la structure du tore de plasma d’Io à Jupiter, les premiers résultats montrent une anti-corrélation densité/température (loi polytrope), suggérant l’existence d’une distribution non thermique pour les ions et des processus associés de filtration des vitesses. Cependant, dans le cas de Saturne, l’équilibre thermodynamique du tore de plasma est considérablement compliqué par la présence de sources de plasma et de poussières variées (d’Encelade, d’autres satellites de glace, et du matériau des anneaux, notamment des grains de poussière). Il semble donc que l’interaction plasma/poussière, pour l’instant fort mal comprise/modélisée, se solde par un net refroidissement du plasma, comme on peut le voir sur la figure R2.7 au moment de la traversée du plan des anneaux (et donc du maximum de poussières).

Turbulence dans la Magnétogaine (avec Cluster)
La magnétogaine terrestre est la zone d’interface entre le vent solaire et la magnétosphère. Le vent solaire y est ralenti, dévié, comprimé et chauffé ; sa pression magnétique s’y accroît. L’étude de l’écoulement turbulent et des transferts énergétiques dans la magnétogaine est accessible grâce à la résolution spatiale de la mission Cluster (4 satellites). Dans cette région, on a pu identifier pour la première fois, des structures cohérentes intermittentes en forme de vortex d’Alfvén (Alexandrova 2005, Alexandrova et al., 2006). Leur découverte change complètement l’image classique de la turbulence dans un plasma (mélange d’ondes planes avec des phases aléatoires). Par ailleurs, on a pu mettre en évidence dans les flancs de la magnétogaine l’existence d’une cascade turbulente de type Kolmogorov (≈f-5/3) c’est-à-dire d’une turbulence inertielle au-dessous de 0.3 Hz (Alexandrova et al., 2008, soumis). La très bonne sensibilité de l’instrument STAFF sur Cluster permet la mesure des formes d’ondes magnétiques jusqu’à 12.5 Hz et la puissance spectrale magnétique et électrique entre 8 Hz et 4 kHz. Ces fréquences correspondent à des échelles allant des échelles ioniques aux échelles électroniques du plasma. A toutes ces échelles (1000 km à 1 km) les observations des fluctuations électromagnétiques sont compatibles avec des fluctuations gelées dans le plasma dont les vecteurs d’onde k sont distribués de façon anisotrope, avec k⊥>>k|| (Mangeney et al., 2006 ; Alexandrova et al., 2008, soumis). En revanche, les observations des fluctuations électrostatiques, pour f > 300 Hz, sont compatibles avec des vecteurs d’onde tels que k||>>k⊥ (Mangeney et al., 2006 ; Lacombe et al., 2006). Enfin, nous avons comparé l’anisotropie de température des protons T⊥/T//, observée par Cluster durant quatre traversées des flancs de la magnétogaine, à des simulations numériques MHD 3D. Le bon accord entre les simulations et les observations implique que T⊥/T// est limitée par le seuil des instabilités d’ondes Alfvén et miroir, qui sont observées au-dessous de 0.3 Hz (Samsonov et al., 2007).
Thèses de doctorat soutenues ou en cours dans cette thématique
Julien Queinnec | Soutenue en 1999 | Émissions radio du circuit électrodynamique Io-Jupiter |
Baptiste Cecconi | Soutenue en 2004 | Etude Goniopolarimétrique des Emissions Radio de Jupiter et Saturne à l’aide du Récepteur Radio de la Sonde Cassini |
Sébastien Hess | Soutenue en 2008 | Processus d’accélération et émissions radio dans la circuit Io-Jupiter |
Laurent Lamy | Soutenue en 2008 | Etude des émissions radio aurorales de Saturne, modélisation et aurores UV |
Julien Girard | Soutenue en 2013 | Développement de la Super Station LOFAR & Observations planétaires avec LOFAR |
Anne-Lise Gautier | Soutenue en 2013 | Étude de la propagation des ondes radio dans les environnements planétaires |
Corentin Louis | Soutenue en 2018 | Les émissions radio aurorales de Jupiter : observations à distance, in–situ et simulations |
Léa Griton | Soutenue en 2018 | Simulations de l’interaction du vent solaire avec des magnétosphères planétaires : de Mercure à Uranus, le rôle de la rotation planétaire |
Chercheurs du LIRA impliqués dans cette thématique
- O. Alexandrova
- B. Cecconi
- L. Lamy
- A. Lecacheux
- F. Magalhaes
- M. Moncuquet
- R. Prangé
- P. Zarka
Anciens membres d’équipe
- A.-L. Gautier
- J. Girard
- L. Griton
- C. Louis
- P. Schippers