La magnétohydrodynamique (MHD) : un cadre théorique pour comprendre la reconnexion
Le Soleil, l’atmosphère solaire et le milieu interplanétaire sont des plasmas avec une conductivité électrique quasi infinie. La magnétohydrodynamique (MHD), théorie qui décrit le comportement d’un fluide conducteur, prévoit que la topologie du champ magnétique dans un tel plasma ne peut changer au cours du temps. Mieux encore, la MHD prévoit alors que le champ magnétique est gelé dans le plasma. En substance, les mouvements du plasma peuvent déformer les lignes de champ magnétique, mais ils ne peuvent pas les briser. C’est la limite appelée MHD idéale.
Exemple de mouvement idéal dans l’atmosphère du Soleil pouvant conduire à une reconnexion
Dans la Figure 1 sont montrées deux lignes de champ magnétique sortant de l’intérieur du Soleil et s’étalant dans la couronne.
Toute ligne de champ magnétique devant obligatoirement se refermer sur elle-même, les deux lignes doivent nécessairement replonger dans le Soleil pour fermer leur boucle respective. La couronne étant un milieu très dynamique, il est permis d’imaginer que le plasma au voisinage de nos deux boucles magnétiques est en mouvement suivant les flèches rouges de la Figure 1. La couronne étant un conducteur formidablement efficace, nous pouvons supposer que la MHD idéale s’applique, et que les lignes de champ magnétique sont gelées dans le plasma. Sans être obligés d’en passer par des calculs compliqués, nous savons donc que les lignes de champ magnétique doivent suivre les mouvements du plasma.

La reconnexion : une violation de la MHD idéale ?
Les mouvements du plasma conduisent parfois à ce que dans certaines régions, la conductivité du plasma soit insuffisante pour supporter la circulation du courant associé à la structure du champ magnétique comme le veut la loi d’Ampère. Lorsque cela arrive, une reconfiguration locale de la topologie du champ magnétique (ou reconnexion) est possible, voire inévitable.
Ainsi, continuant le mouvement de pincement illustré dans la Figure 1, une nappe de courant d’intensité croissante (en bleu dans la Figure 2) se forme à l’endroit où des lignes de champ magnétique d’orientation opposée se trouvent concentrées. Lorsque l’intensité de ces courants dépasse un seuil critique, une reconfiguration topologique du champ magnétique se produit (image de droite dans la Figure 2 ).

Lors de la phase de compression (Figure 1), de l’énergie est stockée dans le champ magnétique un peu comme lorsqu’on courbe un arc pour lancer des flèches. Au moment de la reconnexion (Figure 2), une partie de l’énergie accumulée dans le champ magnétique est subitement libérée sous forme de chaleur (par la dissipation des courants et des chocs). Une partie de l’énergie est également rendue sous la forme d’énergie cinétique à grande échelle, le plasma prisonnier du champ magnétique étant contraint de suivre le mouvement de reconfiguration des lignes de champ
magnétique. Dans l’image de droite de la Figure 2, après reconnexion, une boucle de champ magnétique non connectée à l’intérieur du Soleil est formée. La boucle, libérée de son ancrage dans le Soleil est alors libre de s’envoler dans le milieu interplanétaire à des vitesses typiques de l’ordre de quelques milliers de km/s. La reconnexion est, de ce fait, souvent invoquée comme mécanisme déclencheur des très spectaculaires éruptions et éjections coronales de masse.
La reconnexion et le nombre de Reynolds magnétique
En générale, la structure spatiale du champ magnétique dans un plasma est favorable à la reconnexion lorsque le champ change d’orientation sur une très courte distance. Ce changement d’orientation du champ magnétique implique, selon la loi d’Ampère, la présence d’une fine nappe de courant, comme dans l’exemple de la Figure 2. Selon les équations de la MHD, le paramètre critique qui précise si la nappe est susceptible de faire de la reconnexion est le nombre de Reynolds magnétique
où μ0 est la perméabilité magnétique, σ la conductivité du plasma, v la vitesse caractéristique du plasma au voisinage de la nappe de courant, et L l’épaisseur de la nappe.
Aussi longtemps que le nombre de Reynolds est très grand devant 1, on se trouve dans le cadre de la MHD idéale, et la reconnexion est en principe impossible. A titre d’exemple, la taille caractéristique d’une boucle magnétique dans la couronne solaire est de l’ordre de 10000 km. En considérant des vitesses caractéristiques de 1 km/s et en prenant la conductivité électrique d’un plasma à 1 million de Kelvin on obtient un nombre de Reynolds énorme, de l’ordre de Rm=1010. Ainsi, selon la MHD, il faudrait pincer la boucle jusqu’à une épaisseur L de l’ordre du mm (10 000 km/1010) pour atteindre un nombre de Reynolds de l’ordre de 1 et déclencher ainsi la reconnexion. En réalité, dans le cas d’un plasma si peu dense que celui de la couronne solaire la MHD, qui est une théorie fluide basée sur l’hypothèse que les collisions entre les charges qui constituent le plasma sont fréquentes, perd sa validité bien avant que le nombre de Reynolds soit de l’ordre de l’unité (voir ci-dessous).
La reconnexion dans la couronne solaire
Il est donc nécessaire de distinguer deux régimes différents dans
la problème de la reconnexion. D’une part le régime des structures à
grande échelle, celles que nous voyons par exemple dans la couronne en imagerie en lumière visible, rayons X (p.ex. Figure 7) ou EUV. Ces grandes structures,
caractérisées par des mouvements à très grand nombre de Reynolds, évoluent selon la MHD idéale qui interdit la reconnexion. L’autre régime est celui des nappes de courant
minces qui peuvent se former lorsque les mouvements à grande échelle sont favorables comme dans le cas d’école des Figures 1 et 2. Ces nappes que l’on suppose mesurer quelques dizaines de mètres d’épaisseur seulement au moment de la
reconnexion, et qui échappent donc à une description MHD, ne sont pas résolus par nos instruments d’observation.
La MHD permet alors de comprendre l’évolution des grandes structures et de poser les contraintes sur la formations des nappes de courant où la reconnexion peut avoir lieu. C’est ainsi que la modélisation du champ magnétique dans la couronne, s’appuyant sur les mesures dans la photosphère sous-jacente, met en évidence la structure globale autour des régions de reconnexion, montrant des situations plus complexes que le schéma de la Figure 2.

Les chercheurs du LIRA ont montré, par des simulations numériques, que la reconnexion avait lieu dans de minces couches dans la couronne qui ne sont pas forcément des régions simples où des champs magnétiques sont antiparallèle, comme dans le schéma de principe des Figures 1 et 2. Quand on étudie la connexion magnétique avec la photosphère, on s’aperçoit que ces régions se situent à l’interface entre boucles magnétiques qui sont ancrées dans des régions différentes de la photosphère : par exemple les boucles dont les lignes de champ sont tracées en rouge et en vert dans la figure ci-dessus. Ce ne sont pas de structures statiques. Le modèle permet en effet d’interpréter la propagation rapide d’embrillancements le long des filets d’éruption, observées en rayons X durs, dans la raie H alpha et en EUV. Les premières observations avec le satellite japonais HINODE du glissement croisé de boucles, vues en rayons X, ont directement confirmé l’existence de ce nouveau mode de reconnexion.
Les contraintes observationnelles : la MHD ne suffit pas !
Si les observations de la couronne montrent des structures et évolutions qui peuvent être interprétées par la reconnexion, il est bien clair que les processus détaillés dans les nappes de courant ne sont pas accessibles à la MHD. La raison principale de l’insuffisance de la MHD est que le plasma de la couronne (et encore davantage le plasma du vent solaire) est un plasma extrêmement dilué au sein duquel les collisions entre particules sont très rares, les particules pouvant parcourir des millions de km entre deux collisions successives. Dans ces conditions une théorie fluide, telle la MHD, n’est en principe pas valable, car fondée sur l’hypothèse que la distance entre collisions successives est plus petite que l’échelle résistive, c’est à dire plus petite que l’échelle spatiale correspondant au nombre de Reynolds Rm=1, que nous avons vu être de l’ordre du mm dans la couronne. En réalité, la MHD fournit souvent une bonne description du comportement d’un plasma non collisionnel lorsqu’on se limite aux grandes échelles, la limite entre grande et petite échelle étant fixée par des longueurs caractéristiques du plasma qui n’apparaissent pas dans les équations de la MHD tels le rayon de giration des ions ou l’épaisseur de peau des ions.
Ainsi, dans la couronne solaire, ces deux longueurs sont de l’ordre de quelques dizaines de mètres pour les protons
et environ 43 fois plus courtes pour les électrons [1]. Elles atteignent les quelques dizaines de kilomètres dans le vent solaire au niveau de l’orbite terrestre. La MHD perdant sa validité en dessous de ces échelles, il est vraisemblable que la reconnexion magnétique se produise à ces échelles et non pas à l’échelle correspondant à Rm=1.
Récemment, des mesures dans la magnétosphère terrestre réalisées avec CLUSTER ont mis en évidence de façon non ambiguë que l’étendue de la zone de reconnexion magnétique est de l’ordre de l’épaisseur de peau des ions. Des champs électriques de reconnexion très intenses à l’échelle de l’épaisseur de peau des électrons séparant les lignes de champ ouvertes et fermées ont également été observés par CLUSTER. C’est donc à cette échelle que l’énergie magnétique est convertie en énergie cinétique des électrons lesquels se trouvent propulsés à des énergies tout à fait considérables de quelques centaines de eV.
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Reconnexion et particules énergétiques
Les éruptions solaires
Lors des éruptions solaires des électrons, protons et ions sont accélérés à des vitesses et énergies élevées. Les vitesses atteintes peuvent frôler la célérité de la lumière. Là encore la reconnexion magnétique est supposée jouer un rôle clef.

La figure ci-contre montre l’évolution temporelle des émissions en rayons X durs et ondes radioélectriques lors d’une éruption simple :
1er et 2e cadres en partant du haut : rayonnement X (RHESSI, NASA) – l’émission est de plus en plus brève (p. ex. la courbe rouge) au fur et à mesure que l’énergie des photons (leur fréquence) augmente. C’est le rayonnement X « dur » qu’émettent des électrons énergétiques lorsqu’ils entrent en collision avec les atomes dans la chromosphère.
3e et 4e cadres : intensité du rayonnement radio dans un plan temps – fréquence (représentation appelée « spectre dynamique » ; spectrographe ETH Zurich) et à quelques fréquences individuelles (Radiohéliographe de Nançay). Le rayonnement
est produit par des faisceaux d’électrons qui se propagent depuis la basse couronne (émission à haute fréquence) vers la haute couronne (émission aux basses fréquences), à environ 30% de la vitesse de la lumière.
Cadre du bas : spectre dynamique à des fréquences plus basses que 14 MHz (satellite Wind de la NASA ; expérience WAVES), la suite de l’émission de faisceaux d’électrons. Notons le décalage en temps, l’émission étant d’autant plus tardive que la fréquence est basse. Le décalage est dû au fait que
les émissions ont lieu à des fréquences d’autant plus basses que la densité du milieu traversé par les faisceaux est faible – donc la fréquence est d’autant plus petite que les faisceaux sont loin du Soleil - à environ 2 à 3 rayons solaires pour 14 MHz, à dix rayons solaires à 1 MHz.
Les sursauts radio sont émis dans la moyenne et haute couronne en même temps que les rayons X durs dans la chromosphère. En combinant ces observations, nous voyons donc
- des électrons énergétiques dans la basse atmosphère, la chromosphère, par leur rayonnement X dur ;
- des électrons qui s’échappent vers la haute couronne et l’espace interplanétaire, par leur rayonnement radio.

Les images en rayons X durs et radio (fréquence 410 MHz) montrent les sources émettrices (Fig. 5) : les sources d’émission radio sont représentées par les iso-contours blancs, les sources du rayonnement X dur par les petits iso-contours noirs (agrandir l’image pour les rendre visibles !). L’image de fond (ultraviolet extrême, EUV : longueur d’onde 19,5 nm ; EIT/SoHO, ESA & NASA) montre les structures de la région active. Leur grand nombre indique des champs magnétiques complexes dans la couronne. Le rayonnement X dur provient de la chromosphère aux pieds des boucles magnétiques vues en EUV. Les ondes radio sont émises plus haut.

Comment expliquer ces observations ? Un schéma simple est esquissé dans la Fig. 6 :
- en bleu une ligne de champ fermée dans la basse couronne, en rouge des lignes de champ ouvertes vers la haute couronne ;
- au-dessus de la ligne de champ bleue, une région où les champs magnétiques sont antiparallèles. Dans cette région, indiquée par le symbole jaune, le champ magnétique peut se reconnecter comme indiqué dans la Figure 2.
L’imagerie X et radio suggère que les faisceaux d’électrons partent en directions opposées, vers la chromosphère et vers la haute couronne, depuis un site commun d’accélération qui se situe dans une région de reconnexion magnétique.
Quel est le mécanisme d’accélération ? Nous ne le savons pas à l’heure actuelle. Mais la reconnexion magnétique engendre d’intenses champs électriques, de la turbulence et des ondes de choc – tous des processus qui peuvent entraîner l’accélération de particules à des énergies élevées.
Eruptions solaires et chauffage de la couronne - une relation ?
Nous savons bien identifier les grandes éruptions, qui constituent une montée nette des émissions X, radio etc. Mais quelle est la limite inférieure à l’intensité d’une éruption ? On ne sait pas si une telle limite existe. Il se pose alors la question de savoir si le chauffage de la couronne, qui porte ce plasma à plus d’un million de degrés et le rend visible en rayons X mous (voir Figure 6 ) n’est pas au moins en partie le résultat de libérations explosives d’énergie, à plus faible budget d’énergie qu’une grosse éruption, mais procédant d’une façon quasi-continue dans les régions actives.
Les électrons énergétiques dans la couronne solaire, non nécessairement issus d’une reconnexion, sont à l’origine de l’intense et permanent
rayonnement de freinage et du rayonnement des ions
observables sous forme de rayonnement X (voir Fig. 7 )

C’est en partie grâce aux observations des sondes SOHO
et YOHKOH
qu’une corrélation directe entre reconnexion et augmentation
localisée du rayonnement ultraviolet extrême et X
dans la couronne solaire a pu être établie.
Au LIRA
La reconnexion magnétique est un mécanisme clef en astrophysique. Le LIRA mène des études théoriques et de simulation sur les configurations magnétiques, en étroite coopération avec les analyses observationnelles en lumière visible, rayons X et ondes radio. La reconnexion magnétique n’étant pas un phénomène directement observable, le LIRA conçoit, développe et exploite des codes de calcul numérique visant à étudier la reconnexion par le biais d’expériences numériques. Ces codes de pointe fonctionnent, pour certains, au niveau des grappes de la division informatique de l’Observatoire de Paris et des centres de calcul de haute performance français, tels le CINES et l’IDRIS.
Le LIRA se spécialise ainsi dans l’étude de la reconnexion en trois dimensions (3D) : l’objectif est de comprendre les effets 3D du stockage de l’énergie et de sa libération impulsive lors des éruptions solaires par la reconnexion magnétique. Ces travaux s’appuient sur l’exploitation des instruments tels que SoHO, Hinode, SDO, STEREO, RHESSI et le Radiohéliographe de Nançay et le développement de nouveaux diagnostics. Ils sont un atout pour une meilleure compréhension des mécanismes de la reconnexion qui affectent toute la physique de la couronne et de ses relations avec l’héliosphère.
Informations complémentaires
- Nouvelle scientifique La plus forte éruption solaire depuis plus de quatre ans sur le site de l’Observatoire de Paris
- Nouvelle scientifique Un nouveau concept pour la reconnexion magnétique sur le site de l’Observatoire de Paris
- BASS2000 : Base de données solaire
- NMDB : Base de données du rayonnement cosmique mesuré au sol (moniteurs à neutrons, y compris ceux de Kerguelen et Terre Adélie)
- Station d’observation radioastronomique de Nançay : Radiohéliographe et Spectrographe Décamétrique
- Observations radio coordonnées : Spectres et localisation d’émissions radio de la couronne
- SOHO : Sonde d’observation du Soleil ]
- YOHKOH : Sonde d’observation du Soleil en X
- CLUSTER : Ensemble de 4 sondes d’exploration de la magnétosphère terrestre
- STEREO : Couple de sondes pour l’observation stéréoscopique du Soleil
- RHESSI : Sonde d’observation du rayonnement solaire X et gamma
- HINODE : Sonde d’observation du Soleil dans le visible, l’ultraviolet et en rayons X
- SDO : Sonde d’observation du Soleil dans le visible, l’ultraviolet et en rayons X
[1] Pour une population de particules données, le rayon de giration et l’épaisseur de peau sont proportionnelles à la vitesse caractéristique des particules considérées, en général la vitesse d’agitation thermique.
Dans un plasma composé de protons et d’électrons à la même
température, la vitesse caractéristique des premiers
est plus faible que la vitesse caractéristique des seconds d’un facteur
correspondant à la racine du rapport de masse [masse proton/masse électron]1/2 =43