Description de l’instrument
L’instrument CIRS (Composite InfraRed Spectrometer) est le fruit d’une collaboration entre le CEA/DAPNIA de Saclay, le Centre Spatial Goddard (GSFC) de la NASA à Washington, l’Université d’Oxford, le Queen Mary’s College de Londres et le LESIA de l’Observatoire de Paris. Cet instrument était embarqué à bord de la sonde spatialeCassini, mission conjointe de l’Agence spatiale européenne (ESA) et de la NASA, qui s’est terminée par la plongée dans l’atmosphère de Saturne le 15 septembre 2017.
CIRS est un spectromètre infrarouge à Transformée de Fourier composé de deux interféromètres. Il opère dans les domaines de l’infrarouge moyen et lointain de 7 à 1000 μm (1400 à 10 cm-1) avec une résolution spectrale programmable de 0,5 cm-1 (haute résolution) à 15,5 cm-1 (basse résolution). Les deux interféromètres partagent le même télescope et le même mécanisme de balayage en fréquence. Le LESIA a contribué à la réalisation de l’instrument en fournissant une maquette du mécanisme de balayage.
L’interféromètre de la voie "infrarouge lointain" (10-690 cm-1 ou 1000-14,5 μm, domaine dit "submillimétrique") est un interféromètre à polarisation appelé "FP1" (Focal Plane 1). Deux détecteurs à thermopile sont placés dans ce plan focal.
L’interféromètre de la voie "infrarouge moyen" est un interféromètre de Michelson à deux plans focaux "FP3" (570-1130 cm-1 ou 17,5-8,8 μm) et "FP4" (1025-1495 cm-1 ou 9,8- 6,7 μm). Une barrette de 10 détecteurs réalisés en HgCdTe (tellure de mercure et de cadmium) est placée dans chaque plan focal. Le plan focal 2 a disparu lors d’une réduction de budget du projet Cassini.
L’ensemble optique comprend un télescope Cassegrain dont le miroir primaire paraboloïde mesure 50,8 cm de diamètre et le miroir secondaire hyperboloïde 7,6 cm de diamètre. Le rayonnement infrarouge incident est distribué entre les voies infrarouges "moyen" et "lointain" par un miroir de champ. A la sortie des interféromètres les faisceaux sont focalisés vers les détecteurs. Un interféromètre de référence permet de maintenir une vitesse constante du mécanisme de balayage et de contrôler l’échantillonnage des données.
L’ensemble optique est refroidi passivement et contrôlé pour être maintenu à 170 ± 0,1 K. Le détecteur du plan FP1 fonctionne à une température de 170 K. Il permet d’obtenir une résolution sur le ciel de 3,9 mrad ( 1500 km à la distance de la Lune). Les barrettes de 10 cellules (pixels) réalisées en HgCdTe et fonctionnent à des températures programmables entre 75 K et 85 K. Chaque pixel couvre un angle de 0,27 mrad ( 100 km à la distance de la Lune).
Résultats scientifiques
Le système de Saturne est situé à environ 9,5 UA du Soleil. La température d’équilibre des corps y est comprise entre 55 et 200 K. Il s’agit donc de corps froids qui n’émettent que très peu de lumière visible, et rayonnent donc essentiellement dans les domaines de l’infrarouge moyen et lointain. L’instrument CIRS permet d’une part de mesurer la température de ces différents corps, et d’autre part, d’identifier les molécules composant ces corps grâce à leurs raies d’émission produites lors de transitions de rotation ou de vibration. Ces raies caractéristiques des molécules sont situées dans ce domaine spectral de l’infrarouge.
La résolution spatiale apportée par l’instrument CIRS permet de caractériser l’atmosphère de Saturne et de Titan en 3 dimensions : CIRS peut mesurer des profils de température, de la composition du gaz et de la distribution des nuages en fonction de l’altitude, de la latitude et de la longitude. Cet outil mesure également les caractéristiques thermiques et la composition de la surface des satellites et des anneaux.

CIRS a pu cartographier la température de la surface de Encelade, satellite de Saturne, où des geysers de glace et de gaz on été observés par la caméra de Cassini au pôle sud du satellite. La carte montre que des stries, en forme de griffures de tigre, sont beaucoup plus chaudes que les régions alentours. Ces zones correspondent à l’emplacement des geysers. Cette température anormale, plus chaude que celle attendue par l’ensoleillement seul, montre qu’il existe une source d’énergie interne, d’origine encore débattue.

Dans l’atmosphère de Titan, CIRS permet de détecter et de mesurer de nombreuses espèces moléculaires. La plupart de ces molécules sont issues de la photolyse du méthane (CH4) et de l’azote (N2) et forment des hydrocarbures et de nitriles complexes. Le dioxyde de carbone (CO2) est d’origine externe. La cartographie des champs de température et de composition gazeuse permet de tracer la circulation atmosphérique. Celle-ci transporte les molécules et la chaleur depuis le pôle estival vers le pôle hivernal. La durée de la mission Cassini-Huygens, une demi-année de Titan, a permis d’observer le basculement de la circulation entre l’hiver boréal et l’hiver austral. Une telle circulation de pôle à pôle n’est possible que parce que Titan tourne lentement sur lui-même.
Dans l’atmosphère de Saturne CIRS a pu cartographier l’abondance de l’éthane et de l’acétylène. A nouveau, nous mettons en évidence la circulation atmosphérique qui transporte l’air riche en hydrocarbures depuis l’hémisphère estival vers l’hémisphère hivernal. Cette circulation est beaucoup moins spectaculaire que sur Titan. La descente d’air riche s’effectue dans l’ombre des anneaux, qui ne voit pas le soleil pendant toute la saison hivernale.


CIRS mesure également la température des anneaux. Les anneaux sont confinés le plan équatorial et sont très minces, quelques dizaines de mètres d’épaisseur. L’instrument observe la face éclairée des anneaux, mais aussi la face non-éclairée par le Soleil, ce qui est impossible depuis la Terre. Etant en orbite autour de Saturne, CIRS peut également observer avec différents angles de phase, c’est-à-dire si on regarde le côté jour ou le côté nuit de chaque particule constituant les anneaux. L’ensemble de ces mesures permet de contraindre l’épaisseur des anneaux, mais aussi la taille des particules, leur vitesse de rotation, et leur organisation à l’intérieur des anneaux.