Les images spectaculaires prises par les caméras de DISR ont révélé un paysage contrasté avec deux types de terrains : des zones claires creusées de vallées "fluviatiles" ramifiées qui forment un réseau complexe de drainage, et des étendues sombres plus basses et plus plates. La ligne de partage entre ces deux types de terrain évoque un rivage, souligné par la présence de brumes blanchâtres, probablement des cirrus de méthane. Les chenaux étroits convergent vers de larges rivières qui se déversent dans une plaine sombre qui pourrait être constituée de lacs asséchés avec des “îles” et des “hauts fonds” plus clairs. DISR n’a pas observé de cratères d’impact, ce qui signifie qu’il s’agit d’une surface jeune. Les lits des rivières ont été, selon toute vraisemblance, creusés par des écoulements de méthane liquide. Ceux-ci ainsi que la région où Huygens s’est posé sont actuellement secs mais peut-être sont-ils alimentés de façon saisonnière. Outre les lits de rivière sombres, on voit sur certaines images des structures linéaires, claires et assez larges qui suggèrent une région où la glace d’eau a pu être extrudée jusqu’à la surface.
Crédit images : ESA/NASA/JPL/University of Arizona





Les photographies prises par DISR à la surface montrent des galets arrondis de petite taille reposant sur un sol lisse. L’image évoque un lac asséché. Ces galets, qu’on pense constitués de glace d’eau, présentent des traces d’érosion intense, sans doute due à des écoulements de méthane liquide. Les spectres infrarouges du site d’atterrissage, enregistrés par le spectromètre infrarouge DLIS de DISR, suggèrent une composition de glace d’eau “sale”, mélangée à un corps sombre non identifié. Il pourrait s’agir, au moins en partie, de sédiments formés par la précipitation des particules composant la brume photochimique orangée qui enveloppe Titan. Les mesures effectuées par d’autres instruments (SSP et GCMS) indiquent que le sol a la consistance du sable mouillé et qu’il est imbibé de méthane.


L’ensemble de ces observations permet de proposer un scénario cohérent où le méthane joue le rôle principal dans la géologie et la météorologie de Titan, formant des nuages et des précipitations qui érodent la surface. Les dépôts de matériau sombre, qui pourraient provenir de la brume stratosphérique tombant continûment à la surface, se trouvent lessivés par les pluies de méthane et s’accumulent au fond des chenaux de drainage, des lits de rivières et des dépressions. La glace d’eau ainsi “nettoyée” apparaîtrait plus claire dans les régions de plus haute altitude.
La surface de Titan semble façonnée par des processus géophysiques semblables à ceux qui se déroulent sur Terre. Cependant, la chimie en jeu est complètement différente. Le méthane liquide joue le rôle de l’eau sur Terre. En place des roches silicatées, on trouve de la glace d’eau. La terre y est remplacée par des particules photochimiques fabriquées dans la haute atmosphère et qui se déposent à la surface. Enfin, si Titan a des volcans, ils ne rejettent pas de la lave mais de la glace d’eau.

DISR ne nous a pas fourni que des images. Tout au long de la descente, l’instrument a enregistré des spectres visibles et infrarouges de la lumière ambiante. Le rayonnement solaire est diffusé et absorbé par le gaz et les particules dans l’atmosphère. La variation des spectres avec l’altitude permet de reconstituer le profil d’abondance des particules ainsi que leurs propriétés physiques, notamment leur taille. Les spectres enregistrés par le spectromètre DLIS de DISR, qui regarde vers le bas, indiquent qu’on trouve des particules nuageuses jusqu’à environ 20-25 km d’altitude, bien plus bas que ne le prévoyaient les modèles microphysiques. Près de la surface, la lumière solaire est fortement absorbée par le méthane atmosphérique. Une lampe de 20 W a alors été allumée pour éclairer le sol. Le spectre réfléchi à une altitude de 20 m est beaucoup moins absorbé par le méthane, ce qui permet de déterminer l’abondance de ce gaz à la surface. Il fournit aussi des informations précieuses sur la réflectivité et la composition de la surface, montrant notamment une signature probablement due à la glace d’eau.
Il reste encore beaucoup à faire pour analyser et interpréter l’ensemble des données DISR. La sonde Cassini, qui va encore survoler Titan de nombreuses fois pendant les quatre ans à venir, nous apportera des informations complémentaires à plus grande échelle.
Contact : Bruno Bézard