Je vais vous raconter comment la recherche spatiale a démarré à l’Observatoire au début des années 60 et s’y est développée ensuite, comment des équipes ont appris à concevoir, construire et faire voler des instruments complexes sur des véhicules spatiaux et à extraire des résultats scientifiques des données acquises.
Il s’agit donc d’histoire, avec de petites histoires, et de science. Comme je ne veux parler que de ce que je crois comprendre le mieux, je ne vous dirai rien du satellite infra-rouge ISO, de Mars 96 ni de plusieurs autres missions importantes pour lesquelles nous avons fourni des idées et du matériel embarqué. Je me concentrerai sur le groupe "plasmas".
- S’affranchir de l’atmosphère : Astronomie (ondes et particules)
- S’approcher d’un objet : planète, astéroïdes, comètes
- Mesurer dans un milieu : vent solaire
- Observer continuellement : oscillations solaires et stellaires
- Restituer un objet en 3-dimensions : stéréoscopie
Exemple : voir un objet (le Soleil) dans une direction totalement différente de la Terre : ce sont les missions STEREO ou hors écliptique (ULYSSE).
L’Observatoire a participé avec du matériel embarqué a des missions appartenant à ces 5 catégories.
Vers 1960, Denisse m’a suggéré d’étudier le rayonnement radio galactique aux basses fréquences, quelques mégahertz, ce qui impliquait la mise en oeuvre de moyens spatiaux. En effet, il existe dans l’atmosphère terrestre, à une altitude de quelques centaines de kilomètres, une couche appelée ionosphère où électrons et ions sont libres: c’est un plasma. Si on applique un champ électrique à un tel milieu, par exemple avec une pile et deux plaques métalliques, les électrons négatifs partent du côté positif et les ions du côté négatif. Si l’on supprime le champ extérieur, électrons et ions se mettent à osciller à une fréquence appelée fréquence de plasma qui augmente avec la densité des particules.

Les ondes radio ne peuvent se propager dans un plasma qu’aux fréquences supérieures à cette fréquence de plasma.

En conséquence, les ondes terrestres "BF" de fréquence inférieure à fp se réfléchissent sur l’ionosphère, puis sur la Terre et peuvent atteindre les antipodes. Les ondes "HF" de fréquence supérieure à fp traversent l’ionosphère et sont perdues.

Les ondes qui proviennent d’une source extraterrestre ne peuvent atteindre la Terre si leur fréquence est inférieure à fp. Il faut donc "monter" au dessus de l’ionosphère pour les recevoir.
Pour étudier le rayonnement galactique sur quelques mégahertz, il fallait observer ces ondes à au moins 500 km d’altitude à bord d’une fusée. Pour mener un tel projet, nous avions tout à apprendre. Le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), créé en 1961, a mis à notre disposition les fusées et les moyens nécessaires. Le CNRS était incapable de créer une nouvelle équipe de chercheurs et de techniciens ; le CNES a dû la créer en engageant le personnel nécessaire sur des contrats annuels renouvelables automatiquement.
En 1962 sont alors venus constituer la première équipe : Jacques Lacroix qui avait travaillé au Service d’Aéronomie de Verrières dirigé par Blamont et connaissait les contraintes imposées aux charges utiles, Bob Manning qui avait travaillé à la Compagnie Générale de TSF sur des équipements utilisant les premiers transistors et Robert Charvin qui avait des idées sur la conception d’instruments. Il y eut aussi un mécanicien, Maurice Liepschitz , des techniciens d’électronique, Nicole Monge, Yvonne Guillou et Roger Bru.
Cette équipe conçut et réalisa les récepteurs fonctionnant sur quelques mégahertz qui ont été lancés sur des fusées françaises: missions Rubis 02 (1965) et Rubis 04 (1967), depuis la base saharienne de Hammaguir à laquelle je n’avais pas accès, étant fiché à la DST.
Tout a très bien fonctionné; en particulier les antennes se sont bien déployées ce qui n’était pas évident. Sur Rubis 02, d’intenses parasites terrestres ont perturbé le récepteur. Mais, finalement, les données obtenues ont permis de bonnes mesures du spectre galactique sur quelques mégahertz, et surtout la mise en évidence, pour la première fois, de l’absorption dans le plan galactique. Le tout a permis à Sang Hoang de soutenir une excellente thèse d’Etat en 1972, la première soutenue sur des données spatiales acquises avec un équipement conçu à l’Observatoire. Le CNES reconnut nos jeunes compétences en nous désignant comme Laboratoire Spatial sélectionné, le premier après le Service d’Aéronomie.
Les fusées avaient atteint l’altitude de 1600 km où le plasma ionosphérique était si peu dense qu’il se comportait à peu près comme le vide aux fréquences où avaient été faites les observations radioastronomiques. Mais, plus bas, les ondes avaient dû traverser une ionosphère beaucoup plus dense où les fréquences reçues étaient beaucoup plus proches de la fréquence de plasma du milieu ambiant. Il apparut clairement que nous ne comprenions pas bien le fonctionnement des antennes dans ces conditions.

Ce que l’on veut mesurer, c’est la tension du signal VA aux bornes de l’antenne. Pour cela, on dispose d’un voltmètre, le récepteur, qui est capable de mesurer la tension VR disponible à ses bornes d’entrée. VR se transforme dans le récepteur en un signal de sortie lu sur un voltmètre classique.
Si l’on dispose d’un récepteur parfait qui mesure VR sans pomper d’énergie et si l’antenne est une source électrique idéale produisant VA, alors VR = VA et tout est simple.

Malheureusement les récepteurs ne sont pas parfaits : il faut leur fournir de l’énergie pour qu’ils mesurent VR. Et l’antenne pompe de l’énergie du signal incident et ne peut pas se comporter comme un générateur idéal en circuit ouvert. Alors le signal VA produit un courant qui circule dans la boucle; ce courant produit une tension VR à l’entrée du récepteur. Et comme il y a des résistances dans tout le circuit, VR < VA. Pour déduire VA de VR , il faut connaître toutes les composantes du circuit. Celles de l’entrée du récepteur sont mesurées en laboratoire avant le lancement. Celles de l’antenne peuvent être calculées si l’on connaît bien la nature des signaux captés. Comme on le verra plus loin, ces signaux ne comportent pas seulement des ondes de radio.
A cette époque, l’équipe s’est enrichie de chercheurs dotés d’une solide formation théorique: André Mangeney, Pascal Meyer et Nicole Meyer. J’estimais indispensable que l’équipe comprenne les théoriciens nécessaires pour interpréter les manips et, éventuellement, ouvrir de nouvelles voies de recherche. Cette conception s’est révélée très féconde.
Pour comprendre le fonctionnement d’une antenne dans un plasma aux fréquences voisines de la fréquence de plasma du milieu, on définit le programme EIDI mené à bien en 1969-1971. On lança trois fusées Dragon depuis Mimizan plage.
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Ces missions furent un succès complet. Les données obtenues étaient d’une qualité très supérieure à tout ce qui avait été acquis auparavant par d’autres équipes. Elles furent analysées et interprétées théoriquement : l’antenne ne recevait pas seulement des ondes radio mais aussi des ondes électrostatiques. Tous ces résultats furent réunis en 1976 dans la thèse de Nicole Meyer, un ensemble très remarquable sur lequel je reviendrai plus loin.
A cette époque, j’avais embauché plusieurs ingénieurs transfuges de l’industrie où ils avaient l’impression de perdre leur temps: René Knoll occupait un bureau vitré dans une longue ligne d’autres bureaux vitrés au bout de laquelle le bureau non moins vitré et surélevé du chef permettait à celui-ci de s’assurer qu’aucun de ses subordonnés ne levait la tête trop souvent. On exigeait aussi de René qu’il porte une cravate. Gérard Epstein, Michel Auger et Georges Dumas s’ennuyaient ferme aussi. Mais ces gars-là ne connaissaient rien aux techniques spatiales. Il fallut compléter leur formation.
En 1963, le congrès annuel du COSPAR s’est tenu à Varsovie. J’y ai assisté pour m’instruire; mais j’y suis allé en 2 CV pour y rencontrer des camarades de déportation et retourner à Auschwitz où mes parents avaient été gazés en 1944. Au COSPAR j’ai rencontré Andy Molozzi, un brillant ingénieur canadien qui avait travaillé sur les satellites Alouette. Le Canada avait une solide tradition d’étude de l’ionosphère par le bas, avec des sondeurs installés au sol. Ses scientifiques avaient décidé d’utiliser les techniques spatiales pour la sonder par le haut. Ce qui fut fait avec les satellites Alouette, mis en orbite par la NASA. Andy avait d’intéressants résultats scientifiques à exposer au COSPAR, mais il voulait aussi aller visiter Rudka, le village polonais que son père avait quitté en 1905, chassé par la famine. Andy parlait le polonais mais n’avait pas de voiture; je ne parlais pas le polonais, mais j’avais une voiture. Nous sommes allés ensemble à Auschwitz et à Rudka, et nous avons beaucoup parlé. J’ai ainsi réalisé que les Canadiens avaient des budgets voisins des nôtres et développaient de l’électronique embarquée bien moins chère qu’à la NASA. Les Canadiens sont beaucoup moins nombreux que les Américains et leur pays ne pouvait pas se payer un budget spatial comparable à celui de la NASA. Entre 1965 et 1967, René Knoll, Michel Auger et Georges Dumas ont séjourné au Canada pendant un an. Ils y ont appris comment faire face aux contraintes imposées par l’utilisation de véhicules spatiaux.
- La fiabilité : Durée de vie garantie. Irréparable.
- Les contraintes d’environnement : vibrations, rayonnements
- La consommation d’énergie : minimale
- Le débit d’information : maximum dans les limites du satellite
- Le coût : fixé à l’avance, impératif à tenir
- Les délais : les lanceurs n’attendent pas
- Tâches difficiles : A la pointe de la recherche et de la technologie
- Technologie en révolution permanente : Il faut constamment ré-apprendre son métier
- Délais et budget à tenir : une préoccupation permanente
- Innombrables voyages : A la longue, ça pèse sur la vie familiale
La période 1962-1970 pendant laquelle nous avons mené à bien les missions Rubis et EIDI a été très féconde et très exaltante. Nous étions plus jeunes qu’aujourd’hui de 35 ans et le CNES était en plein développement. Il avait plus de ressources affectées à la science que les scientifiques n’en demandaient. C’est ainsi que la tour solaire de Meudon a été financée pour les 2/3 par le CNES en partant d’une demande de Muller d’une tour métallique de 10 mètres de haut destinée à lui permettre d’observer les satellites artificiels avec une lunette et d’étudier ensuite la mécanique de leurs orbites. Mais aussi, les ingénieurs du CNES nous faisaient une confiance totale: à 24 ans, Nicole Meyer discutait directement avec eux et était écoutée.
En 1966, le Général De Gaulle signa un accord de coopération spatiale franco-soviétique, le premier que l’URSS ait signé avec un pays occidental. On développa un projet nommé ROSEAU qui fut stoppé faute d’argent après la "révolution" de 1968. En 1969, les ingénieurs et techniciens du labo se mirent en grève pour exiger un statut remplaçant leurs contrats annuels dont certains avaient été renouvelés 6 fois. En fait ils ont assuré l’avancement des projets en cours qui ne pouvaient pas attendre. Et ils ont gagné un meilleur statut.
La coopération avec les Soviétiques avait un caractère très particulier: il a fallu apprendre à travailler sans documents écrits, ni plans, ni spécifications. Il était clair qu’ils ne pouvaient pas communiquer de documents écrits. Bien plus, quand leur délégation venait à Paris, elle comprenait toujours quelques membres muets qui étaient là pour surveiller les autres. Il nous a aussi fallu apprendre à refuser de boire autant de vodka que nos collègues soviétiques. Mais ces collègues étaient chauds, gentils, aussi coopératifs qu’on les laissait l’être, souvent très cultivés. Ils connaissaient bien la France et son histoire par leurs lectures en russe. Plusieurs ont appris le français pour converser avec nous, beaucoup sont devenus des amis proches. Et puis, ceux, qui, comme moi, avaient vécu la guerre ne pouvaient oublier que, sans l’Armée Rouge, Hitler serait probablement encore le maître de l’Europe.
Dans le cadre de cette coopération, le labo a mené à bien les premières observations radio stéréoscopiques: la mission STEREO-1 consistait en une observation simultanée du rayonnement radio sur ondes métriques de fréquence 169 MHz depuis Nançay et à bord de la sonde spatiale MARS-3 en route vers la planète Mars. C’était la première expérience française embarquée sur une sonde interplanétaire. L’équipement embarqué a été développé sous la responsabilité scientifique de Costa Caroubalos et technique de Gérard Epstein. La réception au sol était assurée par le radiohéliographe de Nançay qui fut malheureusement mis hors service par un incendie probablement pas accidentel. Il fallut mettre en service en catastrophe un récepteur de remplacement. La sonde MARS-3 a été lancée en 1971.
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Une autre expérience analogue, mais fonctionnant sur 30 et 60 MHz (ondes décamétriques) a été lancée en 1973 sur MARS-7: chef de projet Georges Dumas.
Ces deux missions ont fourni les premières mesures directes de la directivité du rayonnement radio solaire de type III. Il y eut de nombreuses publications ou communications et la thèse de Michel Poquérusse. Le labo était entré dans la coopération spatiale internationale.
Vers 1970, on décida, sur ma demande, de construire un bâtiment spatial aujourd’hui le bâtiment N° 16. Le CNES nous avait prêté un administrateur, Georges Decottignies (un officier d’administration à 4 galons) qui gérait toutes nos affaires administratives et financières. Il était très compétent et, de plus, il comprenait parfaitement qu’il devait être de notre côté dans les conflits administratifs. Lui et René Knoll ont dirigé la construction du bâtiment. A cette époque lointaine, nous prévoyions d’avoir un jour sur le toit un miroir de poursuite des satellites ! En 1972, G. Decottignies nous a quittés; il a fallu le remplacer. J’ai mis une annonce dans la presse et reçu une douzaine de réponses, tous des chefs du personnel civils ou militaires. Leur profil ne me paraissait pas adéquat pour un labo de recherche. Mais il y avait aussi une candidate. Elle avait des qualités très importantes pour nous: elle avait une formation scientifique, travaillé 3 ans dans un labo de recherche et un an de formation administrative. Malgré l’opposition des deux autres femmes les plus proches de moi dans le labo, Madeleine Steinberg et Michèle Boischot qui objectaient à l’embauche d’une femme, j’ai embauché Jacqueline Thouvay et je m’en suis toujours félicité.
Le labo devait s’apprêter à se lancer dans des expériences beaucoup plus complexes.
En 1973, pour la première fois, la NASA et l’Agence Spatiale Européenne ou ESA, lancent ensemble un appel à expériences pour une mission d’étude des relations entre le Soleil, le milieu interplanétaire et la Terre, le programme ISEE. La mission doit mettre en oeuvre 3 satellites, 2 en orbite terrestre et un stationné au point de Lagrange à 1.5 million de km de la Terre en direction du Soleil, là où les attractions du Soleil et de la Terre s’équilibrent.

L’ESA fournira ISEE-2 et la NASA les deux autres. Les agences recoivent 105 propositions dont 28 sont retenues: parmi celles-ci les 2 de Meudon.
Entre ISEE-1 et -2, nous propagerons des ondes de fréquences très différentes : celle de plus haute fréquence sera très peu affectée par le milieu, l’autre, de fréquence bien plus basse, le sera beaucoup plus. On comparera les deux temps de propagation pour en tirer la densité du milieu.

L’expérience est placée sous la responsabilité scientifique de Chris Harvey et technique de Bob Manning. Elle fournira 32 mesures par seconde de la densité du plasma interplanétaire; ce qui permettra à Ludwig Celnikier et à ses collaborateurs d’obtenir, dans le mileu même, un spectre des fluctuations de cette densité.
ISEE-3 est placé sous la responsabilité technique de René Knoll travaillant en équipe avec les deux Gérard, Epstein et Huntzinger. J’en suis le responsable scientifique, l’investigateur principal ou PI. Cette expérience devait être menée en coopération avec un Laboratoire de la NASA au Centre de Recherche de Goddard à Washington. En fait, les Américains n’ont pratiquement rien pu faire dans cette entreprise faute de moyens. Même au niveau de la proposition, il nous a fallu tout rédiger à Goddard. La NASA s’est chargée de l’approvisionnement des antennes de 45 mètres de long produites au Canada. Le malheureux chercheur qui avait à s’en occuper était accablé de tâches par un autre labo du Centre. Comme nous étions exaspérés par cette inertie, nous avons envoyé une lettre assez sévère au responsable américain Bob Stone. Il n’y avait pas encore de courrier électronique. La première fois que nous sommes allés à Goddard après ce courrier, Bob Stone nous a expliqué qu’il n’y pouvait rien et que, même si toute la Marine Française s’y mettait, rien ne changerait. Le lendemain nous sommes arrivés dans son bureau vêtus de t-shirts imprimées "French Navy". Une bonne occasion de rigoler. Et puis, je me suis fait un ami proche à Goddard. Quand Joe Fainberg a constaté que je venais plusieurs fois par an visiter son équipe, il m’a dit "écoute Jean-Louis, à partir de maintenant, quand tu viendras à Washington, tu logeras chez nous: voici les clefs de la maison". Par la suite, j’ai usé et abusé avec plaisir de cette offre, j’ai ainsi connu de nombreux autres américains amis des premiers. Et je ne suis pas sûr que quantités de mes compatriotes agiraient de cette façon pour un visiteur étranger. Sur le plan professionnel, nos collègues de Goddard ne se sont réveillés que lorsque les premières données sont arrivées.
L’expérience était destinée à mesurer entre 30 kHz et 1 MHz la direction des émissions radio solaires. ISEE-3 pouvait même mesurer cette direction à 2 dimensions car il emportait deux antennes dipôle.

Un dipôle est formé de deux brins métalliques colinéaires. Entre ces deux brins, au milieu du dipôle, un récepteur mesure le signal reçu par l’antenne. Sur un satellite en rotation, on peut placer deux dipôles: un sur l’axe de rotation OZ qui tourne alors sur lui même. Un autre , perpendiculaire à l’axe de rotation, qui tourne dans un plan perpendiculaire à OZ. Ce second dipôle peut être beaucoup long, et donc beaucoup plus sensible que le premier, pour des raisons mécaniques.
Un dipôle est insensible au rayonnement d’une source étroite placée dans la direction des brins; mais il est sensible à celui d’une source située dans un plan perpendiculaire aux brins. Quand le dipôle tourne dans ce plan, le signal reçu d’une source proche de ce plan est maximum quand cette source est vue dans une direction perpendiculaire au dipôle, mais très faible quand la source est dans l’axe des brins. Cette variation de la sensibilité de l’antenne en fonction de la direction de la source est représentée par le tore jaune. Au cours de la rotation, on peut ainsi mesurer la direction d’une source dans le plan de rotation de l’antenne.
Si l’on dispose aussi d’une antenne alignée le long de l’axe OZ, on peut obtenir, sous certaines conditions, une direction complète : le tore jaune de la figure montre la distribution dans l’espace de la sensibilité du dipôle OZ.
Le récepteur conçu par Gérard Epstein était doté d’une excellente sensibilité, ce qui lui permettra de "voir" des phénomènes jusque-là négligés, et d’une calibration précise à mieux que 10%. ISEE-3 observera des milliers d’événements radio solaires de différents types, en particulier des sursauts de type III.
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Qu’est-ce qu’un type III ?
Ces sursauts sont produits par des électrons éjectés du Soleil. Ils suivent une ligne de force magnétique spiralée à cause de la rotation du Soleil. Le long de cette ligne de force, les électrons traversent des régions du milieu interplanétaire de densité décroissante vers l’extérieur. A chaque distance du Soleil, ils déclenchent une émission radio a fp et à 2fp et ces fréquences diminuent (comme la densité) avec la distance au Soleil.

Le spectre des types III dérive donc avec le temps de parcours vers les basses fréquences. Ceci est clairement visible sur les spectres radio.
Quelques mots sur WIND lancé en 1994: il emporte le récepteur le plus perfectionné construit au labo sous la responsabilité scientifique de Jean-Louis Bougeret et technique de Bob Manning; il couvre tout le spectre depuis les plus basses fréquences jusqu’à celles qui sont quelquefois reçues au sol à Nançay.
Wind est capable de fournir une direction complète à deux dimensions. Quand on dispose, en plus, de mesures de direction obtenues à Nançay (ou à bord d’un autre satellite) à la même fréquence, on peut trianguler complètement la position de la source de type III en fonction de la fréquence et suivre, ainsi, la forme des lignes de force le long desquelles voyagent les électrons excitateurs.


Cette mesure peut être perturbée par l’existence d’inhomogénéités de densité dans la couronne et le vent solaire. Par exemple, la taille de la source radio augmente quand cette source passe du centre du Soleil au bord de l’astre : le trajet des ondes dans ce dernier cas est plus long et la source paraît grossie à cause de l’effet des inhomogénéités du milieu qui, sur chaque pas du trajet, dévient le rayonnement de peu mais de façon aléatoire.
ISEE-3 permettra aussi de détecter une nouvelle émission radio terrestre isotrope baptisée ITKR. Quand l’article correspondant a été soumis, le lecteur-expert désigné nous a téléphoné en disant "vous ne prétendez tout de même pas avoir trouvé une nouvelle émission terrestre ?" et pourtant elle est bien là; et lui-même l’a retrouvée bien plus tard dans les données de WIND.

Sur le spectrogramme du bas, on voit, en haut, la trace d’une émission aurorale, très irrégulière, qui provient de l’environnement terrestre et est assez bien connue. Plus bas, on voit la nouvelle émission qui est beaucoup plus diffuse et atteint des fréquences nettement plus basses. On peut évaluer la dimension de ces sources en étudiant la modulation du signal que l’on en reçoit quand le grand dipôle tourne. On trouve que la source aurorale est étroite (quelques degrés) alors que l’autre couvre presque tout le ciel. Ces deux rayonnements, l’ancien et le nouveau, ne proviennent donc pas de la même source.
Rappelez-vous que les expériences faites avec les fusées EIDI avaient montré que les antennes n’étaient pas seulement sensibles aux ondes de radio mais à d’autres ondes: des ondes électrostatiques. Ces ondes sont dues au mouvement des électrons; ces mouvements aléatoires définissent la température du milieu. Le signal dû à ces mouvements est donc d’origine thermique. Le signal du spectre thermique est faible et il n’a pu être exploité au laboratoire que grâce à des récepteurs parfaitement conçus puis constamment perfectionnés depuis ISEE-3 jusqu’à Ulysse et à Wind.

Sur ce spectre du bruit thermique, on a porté les différents paramètres physiques qui contrôlent sa forme. Le pic est observé à la fréquence de plasma fp, ce qui fournit la densité totale des électrons. Le spectre thermique est lié à la température des électrons laquelle dépend de la distribution des vitesses des particules électrisées. Dans le milieu interplanétaire la distribution des vitesses des électrons contient deux composantes, une étroite, le coeur, qui contient surtout des électrons relativement lents, et une autre plus large, le halo, qui contient des électrons rapides. La largeur du pic spectral dépend du rapport des densités du halo (nh) et du coeur (nc); la hauteur du pic, du rapport des températures du coeur et du halo. Vers les basses fréquences, le spectre dépend de la vitesse du vent solaire ambiant et de la température Tp des protons.
Sur ce spectre, chaque point représente un résultat de mesure du bruit thermique. Le trait continu est obtenu par un ajustement mathématique à ces points des lois théoriques du phénomène. De cet ajustement, on déduit les paramètres du plasma.
On peut ainsi obtenir, en fonction du temps, la variation de ces paramètres d’un plasma :
En haut, variation en fonction du temps et de la fréquence du signal reçu qui contient surtout du bruit thermique. Le pic de la raie est à la fp du milieu. On en déduit la densité électronique de ce milieu. A chaque instant le spectre est exploité comme sur la figure précédente, ce qui donne les résultats portés en bas. Cette image illustre clairement comment les données peuvent être exploitées pour fournir les paramètres physiques du milieu.
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Quatre ans après son lancement, ISEE-3 fut envoyé dans la queue de la magnétosphère terrestre (analogue à celle d’une comète), puis, en 1985, dans la queue de la comète Giaccobini-Zinner. C’était le premier rendez-vous d’un engin construit par l’Homme avec une comète. Au cours de la traversée de la queue de cette comète, l’analyse du spectre thermique a permis de mesurer les caractéristiques du plasma en fonction du temps ou de la position de ISEE-3 dans la queue.

Sur le fond, on voit la comète Giaccobini-Zinner et sa tête en bas à gauche. En travers de la queue, un trait noir représente la trajectoire de ISEE-3. Au milieu de la figure, on voit dix spectres du bruit thermique enregistrés à divers instants, c’est-à-dire en différents points de la queue. D’un spectre à l’autre, on voit la position en fréquence du pic varier : à partir de l’entrée dans la queue (en haut de la figure), fp augmente et le pic se déplace vers la droite. Le processus inverse se produit quand ISEE-3 commence à sortir de la queue (vers le bas de la figure). A droite sont les résultats de l’exploitation de tous ces spectres. La densité au pic atteint des valeurs élevées qui n’ont pu être mesurées par aucun des autres instruments de ISEE-3 parce que trop grandes pour eux.
Dès 1974, les Américains et les Européens avaient commencé l’étude d’une mission destinée à l’étude du milieu interplanétaire hors de l’écliptique, le plan où se meuvent la Terre et les planètes du système solaire. Pourquoi vouloir sortir de ce plan ? L’écliptique est proche (à 7 degrés près) du plan équatorial du Soleil. A la surface du Soleil, on voit des taches et des zones actives dans une gamme de latitudes solaires de ± 30°. Dans cette région sont enracinés des jets coronaux que l’on voit bien sur les photos d’éclipse.
Dans ces régions, le milieu interplanétaire est relativement dense, sa structure magnétique complexe et le vent solaire dû à l’évaporation de la couronne relativement lent: 400 km/sec. Vers les pôles du Soleil, la structure du milieu est plus simple: le champ magnétique devient radial et le vent solaire rapide de 800 à 1000 km/sec. On voulait étudier de près ces structures dépendant de la latitude et, évidemment, de la distance au Soleil.
La mise au point de ce projet a pris de nombreuses années et exigé de nombreuses réunions. Je me souviens de m’être souvent rendu à Los Angeles pour 24 heures jusqu’à ce que j’exige de pouvoir y rester 2 ou 3 jours pour me remettre du décalage horaire.
On envisagea d’abord en 1972 de mettre en orbite autour du Soleil des sondes munies de moteurs ioniques qui les pousseraient hors de l’écliptique. Il fallait développer ces moteurs: c’était long et coûteux. La manoeuvre devait aussi être longue. On passa à deux sondes en 1974: une seule sonde posait de gros problèmes de partage des responsabilités entre la NASA et l’ESA et ne suffisait pas à faire voler tous les instruments jugés utiles par les scientifiques. Le projet fut approuvé en 1977-78 avec 2 sondes. En 1981, la NASA renonça unilatéralement à construire sa sonde. La sonde restante devait être lancée en février 1983. Le lancement a été retardé de 3 ans puis encore de un an et demi après l’accident de la navette Challenger. Finalement l’unique sonde restante a été lancée par la navette le 6 octobre 1990, 18 ans après le début du projet ! Quelquefois, la recherche spatiale est une très longue patience. Il a été décidé d’utiliser l’attraction de Jupiter, une planète grosse et lourde, pour dévier la sonde. Ce fut le projet Ulysse.
Nous avons monté sur Ulysse un récepteur encore plus performant que ceux emportés par ISEE-3 et Wind; les responsables techniques du projet étaient Bob Manning et François Wouters. Nous avons étudié le plasma tout au long de l’orbite, en particulier en 1995 quand la sonde est passée de l’hémisphère Sud du Soleil à l’hémispère Nord.
Aujourd’hui les équipes techniques et scientifiques du labo sont très sollicitées en Europe et aux USA, pour des collaborations; ce qui est un bel hommage à leurs compétences.
Je n’ai pas pu citer tous les participants aux missions que j’ai décrites, ils et elles sont trop nombreux. Je me suis limité aux plus anciens, ceux qui ont démarré les affaires; pas mal d’entre eux ont pris leur retraite, comme moi. Plusieurs de ces retraités m’ont dit que les années qu’ils avaient passées au labo étaient parmi les plus belles de leur vie. Rien ne pouvait me faire plus plaisir que d’entendre ces paroles.